Colóquio International 
Astronomia, Educação e Cultura
Luanda (Angola), 29- 30 Nov. 2002

Pré-histoires d'éclipse

Léo Dubal, Dr es sc phys
Laboratoire Virtuel d'Archéométrie

Aujourd’hui l’Angola se trouve au cœur de l’actualité en matière d’éclipses,
aussi voici quelques réflexions sur la représentation des éclipses et
les méthodes de prédiction dans le temps et l’espace
.

Tout d'abord pourquoi ce titre Pré-histoires d’éclipse : il souligne le caractère incertain
de l'évaluation que nous pouvons faire des vestiges relatifs aux éclipses du passé .
Notre choix de représentations d’éclipses commence par un exemple suisse:

archives Nicolas BOUVIER

Cette gravure représente, probablement, l’éclipse de Bâle du 24 janvier 1544, à 9h38,
éclipse qu'un logiciel de rétro-prédiction tel que Redshift 3 permet de sélectionner comme candidate.
A cette époque on savait déjà que le croissant de Soleil, lors d'une éclipse,
est causé par le passage de la nouvelle Lune devant le Soleil. Ici, pourtant,
c’est la Lune qui est représentée avec un croissant comme attribut.
Cet exemple montre bien la différence entre un appareil photo et
notre système de perception œil-cerveau.
Sur cette gravure, la Terre est au centre du système, ce qui nous rappelle que 88 ans plus tard,
en 1632, Galilée fut condamné pour avoir osé prétendre que la Terre tournait autour du Soleil.

Le prochain exemple est de 130 ans antérieur au premier et vient aussi de Suisse.
Le logiciel Redshift3 permet de simuler la photo de l’éclipse sur la Ville de Grandson,
le 7 juin 1415, à 7h du matin
, et de tracer la zone d'ombre sur la carte du globe.
La zone de totalité (dans laquelle se trouvait la Ville de Grandson
) est entourée de rouge.

photomontage vla   

Quels témoignages survivent de cet événement ?
Les archives de cette époque sont muettes, détruites par le feu. On sait cependant que
l'empereur a accordé des franchises à Grandson à partir de 1400.
C’est donc vraisemblablement au début du 15ème siècle que cette Ville s'est choisie des armoiries.
  Elles sont uniques en Suisse : elles représentent incontestablement les acteurs d'une éclipse totale.
On peut donc émettre l'hypothèse que ces armoiries sont postérieures à l'éclipse du 7 juin 1415,
voire à celle, 18 ans et 10 jour plus tard, du 17 juin 1433 à 16h38. 

Les deux roches gravées suivantes sont situées à Carshenna (N46°41'/ E9°28'), en Suisse,
et, 70 km au Sud et à l’Est, au Valcamonica (N46°02'/ E10°21'), en Italie.

Eclipse Carshenna / tactigraphie: L.Dubal     Eclipse Coren del Valento/ photo: L. Dubal   

Du point de vue archéologique, le style de ces gravures indiquerait une date vers –1500.
Un astronome suisse, William Brunner a avancé l’hypothèse qu’il s'agissait, dans les 2 cas,
de la représentation de la  même éclipse, celle du 13 juillet –884 à 11h25.
Une question-clé est de savoir si une telle structure de la couronne solaire peut être visible ou non à l’œil nu 
.

L'exemple suivant est une roche gravée, en plein air, située à la frontière lusitano-espagnole
qui a survécu pendant 10'000 ans aux intempéries.

Cheles (rio Guadiana)/ Photo: L. Dubal

Je l’ai photographiée en avril dernier juste avant qu’elle soit inondée
par le barrage de l’EDP sur le rio Guadiana.
C’est la plus vieille représentation de Soleil que je connaisse ( à moins qu'il ne s'agisse d'une tortue ?).
Evoque-t-elle une éclipse de l’époque Mésolithique? Peut-être bien.    

Passons au continent africain :

 Stèle Spiro #18 /tactigraphie :L.Dubal

J'ai émis l'hypothèse (1995) que ce couple lune-soleil qui orne des milliers de stèles de Carthage,
représente l'éclipse de soleil du 30 avril -462, à 13h31, d’une manière stéréotypée,
tout comme les armoiries que nous avons examinées tout à l’heure.

Le mode de représentation est bien sûr lié au stade de développement de la technologie.
A Carthage, à cette époque est introduit un instrument important : le compas.

Stèles de Carthage /tactigraphies: L. Dubal

On voit ici diverses possibilités de positionner les centres du cercle pour tracer le croissant.
Les lapicides carthaginois ont utilisé un rayon R allant de un jusqu'à deux diamètres
du disque solaire.

Ici, deux exemples d’orfèvrerie phénico-punique:
Le premier pendentif a été trouvé dans l’île phénicienne de Motya, située sur la même longitude
que Luanda, et date d'environ –600. Le couple lune-soleil y représente
une éclipse non-identifiée (bien antérieure à celle du 30 avril -462).

Photos:g:Giuseppe Leone/d: Serge Lancel

Le second vient de Carthage, date d’environ -400, et serait donc postérieur à l'éclipse fondatrice.
L’inversion de la position du croissant de lune à Carthage semble remonter
à l’éclipse de soleil du 30 avril - 462 qui serait en quelque sorte
à l’origine ce profond changement dans l’iconographie.

L'exemple suivant vient d'Afrique du Sud :
du site de Renosterberg (la montagne aux rhinocéros ?)

Site de Renosterberg

Sur cette gravure on distingue plusieurs symboles solaires pouvant évoquer une éclipse.

L'exemple suivant vient de Namibie, à Twyfelfontein :

kudu / Phto: D. Seglie

C'est la roche dite du Centaure, gravée il y a peut-être 5000 ans.
On y distingue deux cercles : un poli et un brut.
Il pourrait bien s'agir de la représentation d'une éclipse.

Passons au continent américain

ambrosio /Photo: L. Dubal       

  Cette peinture, vieille de 2 millénaires, à la Cueva de Ambrosio, à Cuba,
représente, d'après  Racso Fernandez,
  le mythe des aborigènes proto-caribes de la création du soleil et de la lune,
mais la conjonction du soleil et de la lune c'est la définition d'une éclipse.

Passons à l’Asie

A Anyang, en Chine, dans le Henan, on a trouvé de nombreuses carapaces de tortue avec des caractères gravés (ici une de ces inscriptions retranscrite en caractères modernes)

Transcription: Xu Zhentao & al

Le message est très succinct :
1-4: du jour i-mao au suivant
5: brouillard,
6-9:
trois flammes, manger soleil,
10-11:
grandes étoiles
"Les flammes de la couronne solaire qui mangent le soleil" évoquent incontestablement
une éclipse totale de soleil puisque les étoiles sont visibles.  
La dynastie Shang allant de -1600 à -1050,
la plus ancienne éclipse à considérer est celle du 29.4. –1550 à 18h00,
mais il pourrait s’agir de l’éclipse annulaire, 400 ans plus tard, du 23.12. –1116 à 15h43.

Voilà pour ce qui est des représentations des éclipses.
Examinons maintenant leur prédiction, en commençant par quelques méthodes empiriques.
Ces méthodes se basent sur une observation systématique, mais restent
à mi-chemin entre la magie et la science.

Dans son livre " The shaman who stole the Moon ",
le neurochirurgien américain W.H. Calvin
résume fort bien le problème de la prédiction des éclipses:
c’est assez facile…à condition que l'on accepte de tomber faux une fois sur deux !

Chacun sait qu'une éclipse de soleil ne se produit que lors de la Nouvelle lune, mais rarement.
Calvin fait cependant remarquer que les éclipses ont statistiquement tendance a avoir lieu groupées.

D’où sa
Règle empirique # 1  :
Une éclipse de Soleil peut se produire
                                          6, 12
ou 18 Nouvelles Lunes
après une première éclipse de Soleil.

A Luanda, la dernière éclipse de soleil a eu lieu le 21.VI.2001
Les Nouvelles Lunes qui suivent sont :

Année

1

2

3

4

5

6

2001

20.VII

19.VIII

17.IX

16.X

15.XI

14.XII

2002

13.I

12.II

11.III

12.IV

12.V

11.VI

2002

10.VII

8.VIII

7.IX

6.X

4.XI

4.XII

et, à la 18ème Nouvelle Lune, va effectivement se produire une  Règle # 2
Une éclipse de Soleil,
               peut se produire à la Nouvelle Lune qui suit une éclipse de Lune

A Luanda :  à la Pleine Lune du 20. XI. 2002, il y a eu une éclipse de Lune (pénombre),
et la
prochaine éclipse de Soleil est à la prochaine Nouvelle Lune, le 4. XII. 2002

Précisons que ces règles empiriques de Calvin n’ont aucun fondement astronomique.

 Règle   # 3 : le jour favorable à une éclipse de soleil, il faut la guetter tous les quart d’heures.
En l’absence de verre fumé,  le danger ophtalmique est évité en
observant l'image du soleil au travers des feuillages ou de trous dans une feuille.

Cette camera-obscura inversera l'image de la source lumineuse.

croissants de soleil / photo : L. Dubal

Ici, l'image inversée du croissant de Soleil, passant par deux trous (de 1 mm de diamètre)
percés dans une feuille opaque, se projette sur un écran blanc placé à 30 cm

  Règle empirique #4  pour observer une éclipse de Lune : il faut vérifier,
                                          les jours de Pleine Lune,  l'alignement Lune-Terre-Soleil.

L'ombre de Colomb et celle de la Terre

On imaginera, ici, Christophe Colomb à St Anne's Bay, sur la côte Nord de l'île de la Jamaïque,
le 29 février 1504, vérifier si sa dernière ombre, juste au coucher du Soleil, pointe vers la Pleine Lune.
D'après le logiciel Redshift3, la Lune apparu sur l'horizon
à 18h18, complètement dans la pénombre et déjà partiellement dans l'ombre, 64 minutes avant la totalité, totalité qui dura 41 minutes.
Colomb disposait de l'Almanach Pepertuum de Zacato qui prédisait l'heure des éclipses à Salamanca.
On raconte qu’il profita de la crédulité des chefs indiens en leur laissant croire qu’ils ne reverraient jamais la Lune pour leurs extorquer des vivres.

Passons aux Prédictions causales:

La narration de l'éclipse du 4 avril -180 à 14h31sur Xi'an (Chang'an) en Chine
procure une donnée de toute première importance.

d'après Stephenson et al.

Si la durée du jour ne variait pas au cours du temps, l'éclipse n'aurait pas été visible à Xi'an !
La Terre a trop tourné. En prenant pour le calcul une journée de 86'400 secondes SI (avec 1820 comme année de référence), on se retrouve à 51 degrés à l'ouest de Xian, soit un décalage de 3,4 h. Ceci signifie que la vitesse de rotation de la Terre diminue avec le temps,
un phénomène lié aux marées.


L.V. Morrison & F.R. Stephenson (ORION, 2001, p.304), ont compilé des centaines d’éclipses,
qui ont permis l’élaboration de ce graphe.

d'après Stephenson et al.

Il s’agit manifestement d’une fonction du carré du temps, c’est à dire une accélération négative.
Il est instructif de convertir les unités. 360° correspondant à un jour complet, 51°, c'est 12’240 secondes.
Le carré du temps écoulé (de l'an –180 à 1820) est de  0,54. 1012 jour2 .
En divisant le décalage  par ½ t2 on trouve le retard quotidien : 46 milliardièmes de seconde.
L'effet cumulatif sur 5300 ans de ce minuscule retard est d'un tour de la Terre sur son axe !
Cependant il faut noter que même en supposant que le ralentissement de la Terre soit, en moyenne, constant, et
que cette méthode permette de déterminer le ralentissement à ± 5% près, soit 46±2 ns/jour² ,
cette date est imprécise, soit 5300±120 ans.
 
En d'autres termes, la rétro-prédiction de la zone de totalité des éclipses antérieures à 3 millénaires est très problématique.

Oppolzer a présenté le 25 octobre 1885 son fameux Canon des éclipses. J’ai choisi la page qui montre la trajectoire de la totalité de l’éclipse qui passa sur Carthage et sur Thèbes le 30 avril – 462.

v. Oppolzer: Canon der Finsternisse /S.72

Sur cette carte on voit le Cycle de 223 lunaisons dit de SAROS, soit 6'585 jours et 8 heures.
Ces 8 heures décalent la trajectoire d’un tiers de tour et ne laisse entre deux éclipses d’un même cycle qu’un très petit chevauchement. Cette caractéristique du SAROS explique la difficulté de prédire à l'avance une éclipse totale de soleil, à moins de disposer d’informateurs lointains. Il n’est pas exclu que les proto-astronomes carthaginois aient disposés de ces données, grâce à leurs contacts commerciaux avec la Phénicie et probablement la Chine.  Les prêtres carthaginois auraient pu alors utiliser, comme le fera deux millénaires plus tard Christophe Colomb, l'effet de l'éclipse, mais ici pour imposer un nouveau culte, le culte de la déesse Tanit, avec comme emblème le disque solaire surmonté du croissant de Lune ! C’est une hypothèse osée, j’en conviens.

Mais cette hypothèse en appelle une autre: A chaque invention, il y a des malins qui prétendent l’avoir déjà trouvé depuis longtemps, et la prédiction des éclipses ne fait pas exception à cette règle.

Voici donc ma dernière pré-histoire d'éclipse:  
L'Encyclopedia Britanica on-line indique que Pindare a écrit son 9ème hymne à Apollon, après avoir été témoin à Thèbes, de l'éclipse totale de soleil du 30 avril -462. 

observateurs, éclipses et narrateurs

Au cas où les Carthaginois auraient prédit cette éclipse, on peut imaginer que cette prouesse ait été ressentie comme une insulte par les Grecs. Ceci expliquerait pourquoi l'historien Grec Hérodote raconta que c'est un autre Grec, Thalès de Milet, qui, aurait été, 120 ans plus tôt, le premier à prédire une éclipse et que cette éclipse aurait même mit fin à la guerre entres Mèdes et Lydiens. Certains pensent qu'il s'agit de l'éclipse (partielle sur Milet) du 18 mai -602 au matin (qui, mentionnons-le, se trouve juste dans un hiatus du logiciel Redshift3, entre –596 et –607), alors que d'autres parlent de l'éclipse (à 77% sur Milet) du 28 mai -584 à 17h56, soit un cycle de Saros plus tard. La Ville de Milet se trouve juste dans la zone de recouvrement de ces 2 éclipses partielles qui ont toutes deux eu lieu du vivant de Thalès de Milet. Si l’histoire de Hérodote était vraie, la question serait pourquoi cette prédiction resta sans lendemain…..

En guise de conclusion, je dirais que, par 1000 manières, l’homme a montré, par le passé,
sa fascination pour les éclipses, et que c’est de cette curiosité que
va germer la pensée rationnelle et scientifique.

Qu’il me soit permis, ici, de remercier chaleureusement les organisateurs de ce Colloque
pour leur aimable invitation.

back