XIX IFRAO, Caceres, 31Aug.-4 Sept.2015 /
                                                                                             Session #5: Watch your step ! Feet & Sandals in Rock Art

Un atlas illustré: 

Les images de pieds dans
l'Art rupestre.....le pas décisif vers l'écriture !


Léo Dubal
vla,  laboratoire virtuel d'archéométrie
dubal@archaeometry.org


                                       Link to the English original version 



 L'épine dans le pied de ce délicat éphèbe étrusque 

nous rappelle que l'invention de la sandale représente l'un des plus grand bond en avant de l'humanité.


    

 En préliminaire à cette dernière communication de la session n°5,
regardons où nous mettons les pieds, Watch our Step, comme on dit en anglais
,
et effectuons un bref rappel sur la mécanique des langages iconiques.


 En Occident, le langage iconique est largement utilisé en signalétique.
Le carton d'emballage dans lequel me fut livré
il y a quelques semaines mon four électrique
portait des avertissements du genre Ne pas marcher ici!
Remarquons que cet icone ne ressemble pas à un pied nu, mais à un soulier,
dont le talon est délimiter par un trait. 
Un autre signe iconique commun est celui représentant une personne.
S’il est redoublé, il signifiera des gens.
Ainsi, pour limiter la confusion entre caractères qui se ressemblent, la classe d’idées générales
à laquelle appartient un caractère est indiquée par une clé, placée sur sa partie gauche.
La clé amplifie le sens d’un caractère ou d’un glyphe.
Pour le glyphe « des gens », sa clé représente UNE personne.  
Placé devant ce même signe, le signe composé résultant signifie des gens.
Ici, la partie représentant 1 personne agit comme une clé, une composante indiquant
la classe d'idées générales à laquelle appartient le signe composé.



En Orient, l'utilisation de langage iconique est commun.
En Chine, par exemple,  le pictogramme représentant 2 jambes signifie un homme,
celui avec 2 hommes signifie de la compagnie, un homme suivant l’autre,
alors que celui avec 3 hommes, signifie une foule.
De même, le pictogramme composé de 
racines / du sol/ et d’un tronc signifie un arbre,
celui  avec deux arbres signifie un bois,
et celui avec 3 arbres, une forêt.



 Les pictogrammes peuvent donc jouer divers rôles.
1.  comme pictogramme en soi, par exemple, le petit carré signifie la bouche.
2.  comme composante d’un glyphe complexe. Le pictogramme signifiant un pays est composé
d’un grand carré représentant les frontières, de hallebardes et ... de bouches-à-nourrir.  
3.  comme mot de mesure ou classificateur.
Cette fois, le glyphe bouche  ajoute le sens de bouche-à-nourrir au glyphe homme.
Pris avec le nombre 3, cela donne La politiquement correcte famille chinoise, une famille de 3.
4. comme clé. Ici le glyphe bouche précise le sens de verbes comme goûter ou chanter. 
 

Revenons à l’Art rupestre…la facilité de s’auto-représenter en se servant de sa main comme stencil
est une pratique universelle, vieille d’au moins 40’000 ans.
   A l’opposé, la difficulté de se servir de
son pied comme stencil peut expliquer la rareté de ces stencils.
Des stencils de pieds ont cependant étés trouvés; une paire de pieds de bébé à côté d’une main d’adulte
@ Kakadu Nat’l Park, des pieds d’adolescents à juger d’après leur taille comparée à celle des mains
@ Wadi Sora, au Sahara, des empreintes de pieds d'adolescents à côté de celle d'une main d'adulte, et
 @ BradyCk dans le Cap York, l'unique stencil de pied dont j'ai eu la chance de photographier.

Et d'ailleurs, comme tout bon nouveau père, à la naissance de mon fils, j'ai encré son petit pied
pour en garder l'empreinte...  

 le pied du fils



Le pied d’un nandou, ce gros oiseau sud-américain incapable de voler,
a servi de stencil à côté d’une main @ la Cueva de las Manos, en Argentine.
En Australie, il y a les émous à la place des nandous, mais d’après Don Hitchcock,
ce sont des stencils artificiels qui ont servis pour ces pieds d’émus.
Il rapporte également, @ Carnavon Gorge, des stencils de pattes de kangourous,
à côté d'un stencil de main. Ce stencil pourrait être une représentation iconique
du chasseur de kangourous, une sorte de mots de mesure à la chinoise?



  Alors que les stencils sont des copies exactes,
la taille des pieds
gravés de nandous @ Tampalaya Nat’l Park,
et d’émus  @La Galerie de la Dame Rouge et @ la Galerie du songe des Emus,
ne nous est pas connue.
 



Comparés aux gravures, les peintures uniquement de pieds d’oiseaux  sont très rares,
avec seulement quelques exemples @ Capivara ou @ Jowalbinna.
Il est raisonnable de penser que les stencils, peintures ou gravures de pieds d’oiseaux,
quelques soient leur taille, soient des représentations iconiques d’oiseaux.



Comment l’image d’une seule empreinte de pied
peut-elle servir d’icône représentant un animal? 
Notons tout d’abord qu’une trace fossile est difficile à distinguer d’un pétroglyphe.
Cela veut dire que les marques fossiles de pied de dinosaures ont du faire l’objet
d’une curiosité respectueuse, et un encouragement à graver toute sorte de pieds.
Les marques de pas, éphémères,
laissées dans la boue ou le sable humide par toutes sortes d’animaux,
ne manquent pas, comme le montrent ma photo d’une trace d’émou dans le gravier. 
Pour résumer, je dirais que
la caractéristique la plus frappante d’un être vivant
pourrait bien être
l’empreinte de ses pieds...


Ce pétroglyphe de l’empreinte de patte près de Twyfelfontein, en Namibie,
est symboliquement comme la carte de visite laissée par Monsieur Léopard,
juste comme les traces de sabots de chevaux @ Qiangan Obo sumu, en Mongolie-intérieure.



Et qu’en est-il des empreintes de pied humain ?
Sur l’Alpe Vanoise à 2’270 mètres d’altitude, admirons cet inattendu grand ensemble d’empreintes.
Il contraste avec cette paire isolée près de Grimentz, en Suisse
et l’empreinte d’un pied gauche près d’Aubrias s/Cèze en France.
Nous suspectons ces gravures profondes d’indiquer des
points d’observation pour les levers du soleil aux solstices.



Les contours de pied sont bien plus fréquents que les gravures profondes,
p.ex. @ aux sites camuniens comme Zurla & Foppe di Nadro.



Certains sont même décorés avec des figures anthropomorphes, et d’autres,
c’est intéressant, avec le calendrier octaedris
Leur petites tailles, cependant, semblent peu réalistes,
et je suspecte l’utilisation de patrons en écorce.




En contraste aux nombreuses gravures de pieds d’oiseaux,
les gravures de
pieds d’humain avec orteils, sont rares,
on en voit 
@ Ourense, en Galice,
@
Spee tay tiga, en Afghanistan,
@
Listleby, en Sweden
et @
Foppe di Nadro, en Italie. 
Leurs tailles ici sont réalistes.
 



Maintenant la question qui démange:  Comment peut-on distinguer
l’empreinte d’un pied nu de celle d’une sandale?  
Lors de l'introduction,
nous avons vu que la signalétique moderne utilise dans ce but la ligne du talon.

 @ Lerfall près de Trondheim, dans la gravure de l'empreinte du sabot d'un géant,
c'est le lacet sous la semelle qui apparait comme le signe distinctif d'une sandale.
Dans cette photo, comme jauge de la taille du glyphe, j'ai capturé
 le sabot de notre collègue Kalle Sognnes.
A droite, ce glyphe de Mongolie intérieure mérite d'être examinée de plus près.



L’image imprécise d’un arc dans ce cas était source de confusion.
Par contre, @ Foppe di Nadro, au Valcamonica, il y a de nombreuses paires de sandales,
sans confusion possible!



Cette plaquette en ivoire d’hippopotame vieille de 5’000 ans est porteuse d’un glyphe.
et ce glyphe est ici iconique : il ressemble exactement
à la paire de sandales 
du Pharaon Den à laquelle cette étiquette était attachée.
Au contraire, dans le pictographe de droite,
l'empreinte de sandales tient la place des oreilles d’un chaman.
Antonio Nunez Jimenez
a qualifié cette étrange pièce d'Art rupestre d'una figura interesantisima.
Dans cette composition
@ La Cueva de Pichardo dans la Sierra de Cubitas, à Cuba,
les icones de plusieurs objets tiennent la place d'autres choses,
évoquant non pas une, mais plusieurs idées.
C'est ce que j'appelle les graphèmes iconiques.



  Les pattes peintes avec soins de ces animaux procurent de la redondance
à leur représentation, juste comme les clés dans l’écriture chinoise.
    @ Capivara, des nandous sont représentés au complet, pattes comprises, et
@ Jowalbinna ce sont des émous, des cigognes noires, des chauves-souris
suspendues avec un nombre réduit d’orteils, et même  des phalangers volants.


@ Sandy Ck , dans le Cap York, mon guide, Matt Trezise pointe son index
vers un dingo & son petit, tous les deux avec des orteils peints avec soins et
@ la Gallerie des Wallarous, près de Jowalbinna,  le père de Matt, Percy Trezise
et son dingo Lacka font face, il y a de ça déjà quelques années,
à un wallarou géant aux orteils peints avec soins.



 @ Gorny-Altaï, à côté de la gravure d’une échelle,
surgit du haut d’un énorme rocher cet ours dirigeant ses griffes dévastatrices
vers un groupe d'anthropomorphes.
Sur la droite, l'aggrandisement des griffes postérieures et
antérieures.


 Des pieds d’humains avec orteils & talons surdimensionnés
peuvent aussi figurer dans de plus larges compositions.
Ils illustrent ce que
Jan Deregowski appelle le «contour  typique». 
  @ Helanshan, la plante du pied est juxtaposée à l’extrémité de la jambe.    
@ Listebly,  2 pieds gauche sont fichés à l'extrémité
des mollets robustes du chasseur,
@ Galerie du songe de l’Emu, l’homme vu de face a cependant
les gros orteils appartenant à des pieds vus de dos.
juste comme les gros orteils de la jeune femme
@ la Galerie du champ de Yam, 
avec sa poitrine bien visible, vue de face.
Dans tous ces cas, l'icone pied-avec-orteils apparait comme un attribut essentiel,
une sorte de clé spécifiant les bipèdes.



Une cupule peut évoquer l’empreinte du pied dans le sable ou la neige.
Pendante à l'extrémité d'un membre, elle agit comme une clé 
pour bipèdes et quadrupèdes. 
@ La Gardette de telles cupules pendent à l'extrémité des membres d'anthropomorphes.
@ Twyfelfontein, aux jambes d’un éléphant, et
@ Zurla, aux jambes de cerfs. Notons que le glyphe représentant la ramure des cerfs
d'iconique se transforme en graphème iconique,
un clone de leur ramure est transplantée comme substitut de leur queue.



La clé pour une bête féroce, tel le Lion de Twyfelfontein,
c’est sa carte de visite, l’empreinte de sa patte.
Une empreinte de patte additionnelle est même transformée en un graphème iconique,
et domine l’ensemble du glyphe.
A droite, l'empreinte du sabot de ces cornus allonge significativement leurs jambes,
@Twyfelfontein et @ Gorny Altaï.



Pour identifier le genre féminin des statues menhirs ruthènes,
la clé est une paire de jambes écartées avec orteils,
renforcée par des attributs tels que seins et collier.
Pour le genre masculin, la clé est une paire de jambes serrées avec orteils,
renforcée par des attributs tels qu’un objet-dague et son baudrier.

Itus et Reditus, Ida y Vuelta, comme on le dit dans ce pays.
Cette stèle votive du 3ème siècle à la Déesse Caelestis
pour un voyage aller-retour sans problème
nous conduit à la conclusion de notre Atlas illustré:
Le concept de clé et mot de mesure encore en usage dans la langue chinoise,
jette une lumière nouvelle sur les images de pieds dans l'Art rupestre.
Et toutes ces images qui vont des clones artificiels des empreintes de dinosaures
aux empreintes de sandales (artificielles, par définition)
apparaissent comme instrumentales à une
quête précoce de l’humanité...
la quête d’un langage eiko-nique complexe, non seulement capable
de représenter quelque chose par quelque-chose-qui-lui-ressemble,
c'est à dire un icone,
et une autre fois….par quelque-chose-qui-évoque,
c'est à dire un graphème iconique, en d'autres termes
le pas décisif vers l'Ecriture.


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